J’aime photographier les écoles un peu partout où j’ai (eu) la chance d’aller, à titre professionnel comme privé.
Ce que j’aime je crois, c’est tenter d’y déceler les éléments de ce récit muet qui sourd pourtant de l’emplacement, de l’architecture, de la distribution de l’espace, de la décoration, des matériaux, du niveau sonore, du climat perçu dans la cour. Toutes ces dimensions forment une image-récit, faite des qualités mais aussi des rêves et des fantasmes que l’on prête à l’école (petite ou grande), où qu’elle soit…
C’est ma première photo d’école Grecque. Un peu volée, parce qu’un adulte, homme de surcroît, qui photographie une cour d’école au moment de la récréation, c’est toujours un peu suspect.
Ce qui m’a retenu, c’est la décoration peinte sur ce bâtiment, peut-être en bois (?), de plein pied, tout en longueur. Les livres peints y forment une étagère de bibliothèque, pas très dense, laissant les ouvrages respirer. Les livres font la taille des enfants, et de ce fait ressemblent moins à des objets qu’à des personnages, tout au moins des égaux.
« École » vient du grec ancien skhôlé, qui, sauf cas particulier, n’a plus ni le sens ni l’idée ni l’esprit de ses origines.
Ars Industrialis, le site créé par le philosophe Bernard Stiegler, y consacre un bel article, dans lequel les auteurs Guillaume Vergne et Julien Gautier rappellent que l’école est pour les Grecs anciens, un moment de suspension (!), une respiration (!), une école qui élève et annoblit, une école de la République en somme :
» Ainsi, relèvent de la skholè les pratiques du jeu, de la gymnastique, des banquets, du théâtre et des arts, ainsi que, dans une certaine mesure, la participation aux affaires publiques, la politique pour autant qu’elle participe de ce que Hannah Arendt nomme la vita activa – et non de la prise de pouvoir. Ce qui rapproche toutes ces activités entre elles, c’est en effet leur « gratuité » – c’est à dire leur caractère auto-finalisé et libre par rapport aux contraintes de l’utilité qui est toujours particulière et en cela à courte vue – et la liberté qu’à la fois elles supposent et engendrent. C’est pourquoi le mot désigne plus particulièrement l’activité studieuse, puis les lieux et les ouvrages d’étude eux-mêmes : l’étude et la lecture fournissant l’un des meilleurs paradigmes de la skholè, de ce temps librement suspendu dans lequel peut se déployer une activité qui est à elle-même sa propre fin, et dont la pratique littéralement élève et anoblit celui qui s’y consacre. »