La Géhesse de Béhème

Peut-être l’aurez-vous remarqué si vous roulez à moto ? Mais aussi si vous roulez en vélo ou en voiture, les motards ont (avaient) l’habitude de se saluer de la main gauche, index et majeur formant le V de la victoire, à l’image du champion de moto de Grand Prix, Barry Sheene dans les années 70…

Je dis « avaient » car cette pratique est en passe de s’éteindre. D’une part, c’est une pratique culturelle qui n’a pas nécessairement été transmise aux jeunes générations, et puis la vague des scooters à relégué celle ci à la pré-histoire. Non que les scooters ne connaissent pas les pannes, mais que celles-ci soient maintenant privatisées par les constructeurs à grands renforts de technologies opacifiées.

Mais au delà du signe de salut échangé, un motard en panne ne restait jamais seul au bord de la route. Il existait, si ce n’est une solidarité, tout au moins une entraide internationale des motards.

Nous en avons d’ailleurs vécu un épisode fort chaleureux cette année en Turquie alors que nous faisions une pause au passage d’un col, loin de tout.

Ce dont je voulais vous entretenir, c’est d’un problème que je perçois comme une question sociale de caste, due vraisemblablement aux effets pervers d’un marketing idiot et d’une dérive technologique nous privant de nos pouvoirs d’agir.

Je remarque depuis quelques années déjà que le salut du motard ne vous sera jamais (…) donné ou rendu par un Géhessiste (je parle de la plupart des possesseurs de 1200 et 1250 GS). Et je dois préciser que je n’ai rien contre la marque. J’ai eu une R60 série 6, elle compte parmi mes meilleures motos, avec l’actuelle Guzzi.

Même à la station service, les seuls motards qui ne regardent personne sont les Géhessistes… Cette moto génère un truc vraiment pas sympa, aucune autre à ma connaissance ne provoque le même malaise.

Pour quelles raisons ? C’est ce que nous allons essayer de débrouiller dans le billet d’humeur qui suit.

Mais tout d’abord, qu’est-ce qu’un Géhessiste et qu’est-ce qu’une Géhesse ? Le premier possède la seconde, qui est une moto de marque BMW, modèle GS, cylindrée plutôt 1200 ou 1250. C’est une moto de la catégorie Gros Trail, c’est-à-dire ayant des qualités tout terrain sans l’empêcher de rouler sur autoroute à plus de 200. Un genre de SUV bodybuildé à 2 roues si vous voulez.

Mais cette réponse n’est que provisoire car le motard de base dont je suis (roulant sur tout sauf la Géhesse) vous le dira, le Géhessiste est plutôt possédé par sa moto, par sa Géhesse pardon. Car la Géhesse n’est en fait pas une moto, c’est une Géhesse, entendez par là qu’elle est beaucoup plus qu’une moto, elle est la toise et l’étalon, l’alpha et l’oméga, la mesure de toute brelle, la référence du segment gros trails comme disent les journalistes sportifs – mais la réduire au segment relèverait de l’insulte – tant cette « moto » à défaut d’un terme plus adéquat, est la référence de TOUTES les motos, leur Déhesse en quelque sorte. Sainte Moto priez pour nous pauvres brell.eurs.euses.

Le Géhessiste est généralement un mâle alpha ou tout au moins, se vit comme tel. Il sue en Marcel aux altères entre les heures de bureau où il avale toute la journée du Red Bull dans un gobelet de thé en carton tout en prétendant que non, sa musculature est naturelle.

Pour mieux le comprendre, il faut pouvoir approcher un Géhessiste de près, le mieux est d’abord de planquer sa propre bécane, assez loin, car le Géhessiste a de l’odorat à défaut d’avoir du flair… Planquez le logo de votre porte clés, aucune autre marque que Béhème ne trouvera grâce à ses yeux, n’essayez même pas, no way.

Essayez de venir à lui afin de parler d’égal à égal. Mais pour ça, il va vous falloir être prêt à quelques sacrifices. Vous devrez vous aussi porter l’équipement complet BMW GS de chez Motorrad, qui requiert la Carte Bleue Black ou à défaut, la Gold. En effet, sans ce sésame, inutile de tenter l’approche, il ne vous calculera même pas. Ensuite, ce n’est qu’un mauvais moment à passer, je veux dire, de s’arnacher comme pour l’Erzberg Rodéo pour aller prendre une tarte chez mamie.

Et cherchez pas à l’entuber hein, combien de fois ai-je été sur le point de réussir mon approche et d’entamer la discussion… Et bam, le bougre repère le détail qui tue, ma botte gauche scotchée au gaffeur noir pour enrayer un début de déchirure du cuir… Gaulé ! C’est pas ça l’esprit Géhesse ! Pas du tout ! Son sang ne fait qu’un tour, son apparente neutralité s’envole ! Le voilà qui rugit !

Vous l’avez compris, ça vous coûtera un bras, juste de faire semblant, si vous voulez réussir votre approche, ne mégotez pas sur la qualité, faut que ça respire le neuf, le meilleur, le Top, l’exception, car sinon, au fin fond du Lesotho, tu vas faire comment gros, quand les serpents vont agrandir le trou de ta botte et te bouffer le pied !? Hein ? Looser va… Vas jouer dans le bac à sable…

Voici le point nodal : le Géhessiste est un winner dans l’âme, il lui faut le meilleur, tout de suite et tout le temps. La Géhesse n’est donc Déhesse que dans la rencontre avec le winner des winners, le survivant quoi, l’élu. Celui qui va survivre à tout, à nous tous et toutes, car il n’y a pas de Géhessiste femme, ce serait contraire à l’esprit, disons la loi, de… la testostérone.

Le Géhessiste, parce que c’est un winner d’exception va survivre au réchauffement climatique car il peut se déplacer rapidement où il fait frais.

Le Géhessiste va survivre aux inondations car il peut compter sur son boxer (bicylindre à plat) survitaminé et sur l’anti-patinage sur route mouillée.

Le Géhessiste va survivre aux arsouilles que vous faites avec lui, persuadé d’avoir livré un combat équitable, les yeux rivés sur les témoins du cockpit high-tech dont un cependant, fait cruellement défaut : celui du doute.

Il va aussi survivre aux loosers qui continuent cette pratique puérile consistant à faire le V de la victoire de la main gauche quand ils croisent un autre motard… Car qu’y-a-t-il d’heureux dans le fait de croiser un congénère à moto ? Demandez-vous un peu benêt au Géhessiste enfin approché.

– Celui que tu croises n’est pas digne d’être croisé s’il n’est pas en Géhesse. Vous repondra-t-il suivant sa logique de « Be the best or die ».

Il pourrait dire aussi quelque chose comme :

– J’exècre ces signes incompréhensibles faits avec les doigts par des gens qu’on ne connait même pas, c’est archaïque et dégoûtant.

Voici la question Géhessiste dans son essence, sans plomb 98 sinon rien : il y a le Géhessiste, et il y a les autres.

Il m’arrive de faire des cauchemars, comme tout le monde. Mais celui que je crains vraiment de faire serait celui de piloter une Géhesse et d’y prendre plaisir. Être réveillé en sueur par ce rêve, honteux et coupable, mais qui peut-être, ferait de moi un survivant ?

Survivre, pourquoi pas ? Mais comme il n’y a aucun intérêt à se retrouver tout seul, et encore moins seulement avec une tripotée de Géhessistes… Survivre donc ? Certainement pas, au prix de la Géhesse, qui n’est pas qu’économique…

Dire que cette moto a été un graal pour tout rider depuis les années 80 où dans sa version 800, elle faisait merveille au Dakar. Et plus tard au même rallye, puis chez les routards du monde entier dans sa version 1000. Un moteur généreux à 2 cylindres, 2 carburateurs, 1 cardan, 2 roues, 1 selle, 1 réservoir, le reste est accessoire. La moto des tours du monde…

Et bien la Géhesse 1200 possède cet héritage (« Je suis ton père… »). Après la 1150, la GS a été conçue et promue technologiquement et commercialement comme un genre d’arme de guerre super sophistiquée. Au point qu’elle a attiré plus de survivalistes paranos cherchant une assurance tous risques que d’amateurs de frissons sur une moto aventure de caractère…

Un p’tit effort BMW, vous l’avez fait et pourriez le refaire : proposer une moto simple, solide, pêchue, économe, qui a du chien, réparable partout, avec un outillage commun.

Vous (re)donneriez au motard ce qu’il recherche constamment et que vous lui avez pris en pensant lui donner : un simple instrument de liberté, de rencontres et de partages !