Levés tôt ce matin, notre bateau quitte Serifos pour Sifnos à 11h15. Nous plions les derniers objets du campement et nous nous rendons au port. Notre bateau, l’Anemos est en approche dans la baie, on est là sur l’embarcadère. Je regarde Nathalie et j’ai tout à coup une sueur froide : le camping ne m’a pas rendu ma carte d’identité ! Oh merde ! Je décide d’y aller au plus court, en courant par la plage. Pas le temps d’en perdre, vite, vite grimper en haut de la petite colline, celle du cimetière et de l’église, de là je vois le bateau s’approcher du port. Vite vite, descendre, traverser la plage, le camping, entrer dans l’accueil, c’est heureusement la même jeune femme à qui j’ai payé ce matin même qui me reconnaît et comprend de suite, elle dit « Votre carte d’identité ! ». Absolument ! So sorry ! Moi aussi ! Bye ! Je saisis la carte et repars dans l’autre sens en courant toujours, sur la plage, puis dans la côte. Au sommet de la colline je vois le bateau qui fait son demi tour pour accoster par l’arrière, ses rails de débarquement abaissés. Vite enquiller les longues marches de la descente vers le port sans glisser, à droite la route du débarcadère, encore un petit effort, j’arrive au side en sueur, le policier nous fait signe de prendre place dans la file de l’embarquement. Ouf ! Il était moins une !
Un partout avec Nathalie ! Balle au centre…
Notre bateau a quitté Serifos depuis un bon quart d’heure, une dame dans la quarantaine, cheveux courts, une grande blonde à la carrure athlétique, vêtue d’un complet vieux rose, assorti à son sac à main et à sa valise, s’approche de nous, elle cherche visiblement à communiquer, mais ni en Grec, ni en Français, ni en Anglais. Elle tape quelques mots en Cyrillique sur son portable, Russian ? No, Ukrainian dit elle. On parvient à trouver le bon réglage sur son téléphone, elle écrit en Ukrainien, je lui réponds en Anglais et Google traduit. Elle veut savoir où descendre pour aller à Sifnos. Je lui dis que c’est le prochain arrêt, qu’on y sera dans 45 minutes environ. Elle me redemande « où » descendre et me fait signe qu’elle ne va pas nager. Ah ! Bien sûr ! Je lui dit, Pont numéro 3, à l’arrière du bateau, elle est visiblement angoissée à l’idée de manquer l’arrêt, je la guide un moment dans le bateau vers la bonne direction puis elle disparaît sans se retourner en parlant toute seule… Que vient elle faire ici ? Voir de la famille ? Mais alors elle aurait été accompagnée à chaque étape de son voyage. Faire du tourisme ? Mais serait elle ici toute seule sans indications précises ? Commencer un nouveau travail ? C’est le plus vraisemblable, elle est sur son 31 et dans le stress d’avoir à réussir… Dernière hypothèse, c’est une espionne Russe !? On lui souhaite bonne chance dans tous les cas, sauf le dernier.
Le temps nous laisse le loisir de divaguer à bord des bateaux ainsi, il faut qu’on vous raconte l’après midi de notre premier jour sur Serifos – nous venions de nous installer au camping la veille au soir – nous prenions notre café, assis dans nos minis fauteuils pliants. Précisons encore que nous avions choisi l’emplacement le plus excentré, en bordure de délimitation du camping, au ras d’un groupe de hauts joncs de roseaux côté plage.
C’est alors qu’on voit se faufiler un homme, sortant des roseaux, tout de noir vêtu, large capuche sur la tête, lunettes de soleil noires, un foulard noir lui couvrant la bouche. Il s’assied sur le muret de délimitation du camping et de la plage. Il sort de son sweet un paquet de gâteaux, en mange quelques uns. Puis se lève et s’intéresse aux prises électriques fixées le poteau de bois délimitant chaque emplacement. Chaque prise y est protégée en accès par une clé, il essaie de soulèver plusieurs couvercles avant d’en trouver un qui n’a pas été fermé.
Nous l’avons vu ainsi, furtif, errer à différentes heures du jour et de la nuit, mener ce qu’il faut bien appeler une danse d’évitement. Il a passé plusieurs jours ainsi, semblant se cacher de tous, furtif usager des toilettes et des douches, d’un emplacement de camping et de sa prise électrique pour y charger, sans doute un portable.
Sa gestuelle, sa façon de tourner sur lui même en permanence, sans régularité, ses vêtements noirs cachant tout de lui, capuche enfoncée, tournant dans sa danse psychotique et en même temps eratique : tout semblait fait pour l’esquive.
A chaque jour de notre semaine, une ou deux apparitions furtives seulement, toujours de loin, comme un qui se méfie de tout, un qui ne se fera pas attraper, toujours une ligne de fuite ouverte, mais qui ne peut se défaire d’une chorégraphie d’invisibilisation qui au lieu de le protéger, ici l’expose, le désigne.
Puis on s’est croisé aux douches un soir, je lui ai dit bonsoir, il m’a dit bonsoir. Celui qu’avec Nathalie on avait surnommé Rascar Capac, comme la momie inquiétante, filiforme et dansante de Tintin dans Les 7 boules de cristal, avait maintenant une voix.
Nous l’avons vu le lendemain, parler avec les employées du camping, des femmes venues de Sierra Leone, du Nigeria et d’autres pays d’Afrique, francophones et anglophones. Elles semblaient le connaître, il parlait plusieurs langues.
Un autre jour il a installé son hamac dans notre secteur, sur un emplacement de tente, à distance toujours. Un jour il a abandonné son sweet à capuche pour un tee shirt coloré, le lendemain son legging noir serré pour un short de bain, chaque jour il se fondait un peu plus dans le paysage et muait sous les traits d’un touriste des Cyclades en Grèce.
Il a commencé à fréquenter la plage, torse nu et maillot de bain jambes longues. On l’a même vu, accompagné d’une jeune femme, ils ont traversé le camping en riant et parlant ensemble, en Anglais, ils avaient le ton badin et amusé des rencontres de vacance.
Le dernier jour, la veille de notre départ, il avait abandonné ses lunettes de soleil, il avait gagné un visage, celui d’un beau gosse, la quarantaine un peu plus, cheveux noir bouclés, une barbe noire légère, taillée court.
Ce soir nous sommes à Sifnos. Plus tôt dans l’après midi, au moment de débarquer, nous avons vu de loin, la dame Ukrainienne. Elle n’a pas manqué pas son arrêt et a trouvé son chemin, pour le reste, impossible de le savoir. Je me suis surpris à chercher dans la foule prête à débarquer, si je retrouvais chez un passager, les traits de Rascar Capac.
Whaouh ! Quel suspens … Vivement le prochain chapitre ! Méfiez-vous quand même, ils sont peut-être de mèche ces deux ostrogoths !
Ils sont forcément de mèche, les ostrogoths 😁😂
Sinon, ils seraient juste des Goths normaux