Journée paisible au camping. On est lundi, toutes les familles Turques du weekend ont hier soir remballé leur pique nique, dégonflé les ballons, avalé les keftas, vidé les sodas. Envolées les musiques, avec les paroles. Reste l’image des visages souriants et les cris d’orfraies des enfants dans l’eau.
Comme après la fête, reste le vide de l’absence, le vent, la mer. Et un couple de russes avec une petite fille.
Hier sur la plage, on les a pris pour des Hollandais, puis pour des Allemands, leur peau blanche et cheveux blonds, il nous en faut bien peu. La trentaine tassée, petite Mercedes blanche, une tente 4 places, un peu de matériel de camping.
C’est la petite fille blonde comme sa mère, qu’on a d’abord repérée, avec la seule et unique bouée de toute la plage, un gros requin gonflable gris et noir.
Chez un.e enfant de toute autre nationalité, le requin aurait paru être un gentil poisson, un sourire Disney en travers d’une bouche sans dents. Mais après avoir vu les plaques russes de la voiture, le requin a soudainement pris à nos yeux des airs d’ogre psychopathe repoussant. Ça c’était hier.
Ce matin, la petite famille se tenait serrée, regardant l’horizon sans bouger, le requin fat et luisant sous le bras du père, cheveux très courts, corps travaillé en salle mais petite bedaine replète. Un militaire en permission ? Sinon comment sortir d’un pays en guerre pour aller en vacances ?
Tant que l’enfant jouait avec son requin, c’était un jeu d’enfant. Quand c’est son père qui l’a chevauché, la situation a changé du tout au tout, je veux dire symboliquement. J’ai eu envie qu’il coule, qu’il boive la tasse, que ce requin en appelle un vrai, pour remettre de l’ordre dans cet insoutenable déséquilibre de terreur.
Ce matin donc, l’horizon était clair, la mer Turquoise, un léger vent doux venait vers eux, serrés en grappe, vulnérables dans leur attente, de l’eau jusqu’aux mollets. Ils regardaient l’horizon, nord ouest, vers Odessa. Mais qu’attendaient-ils ? Qu’espèraient ils ? On écarte l’hypothèse d’un périscope bien qu’elle nous traverse, dans un furtif délire de sous marin frappé de l’étoile rouge venant reprendre le soldat, sa femme et son enfant…
S’étaient ils abandonnés un instant à la nostalgie de leur patrie ? Avaient ils été saisis par la honte de sa brutalité ? Ou peut-être ont-ils de la famille en Ukraine, peut-être la savent ils maintenant livrée aux prédateurs ? A Odessa, Marioupol ou ailleurs…
Mais pourquoi offrir un putin de requin à sa fille ? Et pas un dauphin, un hyppocampe, une sirène, un canard, une baleine bleue, un beluga, un ours, un cormoran ?
Vous ne leur avez pas mis du sable dans le réservoir ?